Alberto Moravia à propos d'Ulysse de Joyce
"Joyce a lui aussi interprété l'Odyssée à la manière moderne... et dans cette volonté de modernisation, c'est-à-dire d'avilissement, d'abaissement, de profanation, il est allé beaucoup plus loin que vous, mon cher Rheingold. Il fit d'Ulysse un cocu, un onaniste, un fainéant, un velléitaire, un incapable, et de Pénélope une putain émérite... Eole devint le rédacteur d'un journal, les descentes aux Enfers les funérailles d'un compagnon de ribote, Circé la visite à un bordel et le retour à Ithaque, le retour "at home" la nuit par les rues de Dublin, non sans une halte pour se soulager dans un coin. Mais Joyce eut au moins la discrétion de ne pas évoquer la méditerranée, la mer, le soleil, les terres inexplorées de l'Antiquité... il situa son Ulysse dans les rues fangeuses d'une cité nordique, dans les tavernes, les bordels, les alcôves, les latrines... Ni soleil, ni mer, ni ciel... mais tout y est moderne, c'est-à-dire bas, avili, réduit à notre misérable mesure..."
Alberto Moravia, Le Mépris, edition GF, page 200-201