L'Etranger, Albert Camus
L’Etranger est certainement un des romans les plus lus de nos jours, aussi il ne nous apparaît absolument pas nécessaire d’en décrire les faits ou tout simplement de rappeler l’intrigue.
La lecture proposée par Jean-Paul Sartre de l’Etranger scindait en deux le roman avec cette idée qu’il y aurait d’une part la vie de Monsieur Meursault raconté par lui-même, avec des descriptions assez froides des événements et d’autre part la vie de Monsieur Meursault vu et jugé par le discours de la raison, le discours humain lors du procès. Toutefois cette perception de la structure de l’Etranger n’est pas nécessairement la plus pertinente.
Il est possible de dégager une troisième partie dans cette œuvre de Camus, une partie où le personnage principal se métamorphoserait en une sorte de porte-parole de la pensée d’Albert Camus. N’oublions pas que l’Etranger s’inscrit dans le cycle de l’absurde avec entre autres ouvrages Le mythe de Sisyphe. Après avoir vu l’aumônier, on assiste à un véritable réveil du narrateur qui montre l’absurdité de l’existence qui n’est qu’attente de la mort. C’est d’ailleurs à cause de ce réveil du narrateur que des romanciers comme Nathalie Sarraute et plus généralement les auteurs du Nouveau Roman émettront des réserves sur l’ouvrage.
Le récit est troublant, on a constamment ce sentiment qu’il y a un décalage entre l’emploi de la première personne et la succession des événements. Cette dissension entre l’attente du lecteur, qui est certainement symbolisée par la réaction des hommes entourant Meursault, et la froideur du personnage amène le lecteur à se questionner. Lorsque la première phrase de l’Etranger tombe sous nos yeux, on n’y lit aucune émotion, juste une froideur incompréhensible (Aujourd’hui, maman est morte). Comment devons-nous réagir face à un tel personnage ? On a constamment cette oscillation entre la réaction raisonnée du monde et la perception (pouvons-nous dire personnelle des choses ?) du personnage.
Sartre expliquait qu’une phrase de l’Etranger est « une île », qu’il n’y aucun lien entre elles. Il est certain que le récit de Camus ne répond nullement à une logique rationnelle, c’est là certainement l’essence même du sentiment de l’absurde. Cette dislocation entre les phrases, cette absence de cohérence contribuent à renforcer le sentiment d’absurdité.